Fenghuang est une petite ville au sud de la métropole de Chongqing. Y laisser déambuler son regard est un délire futuriste : un bond dans le temps.

Les maisons sur pilotis se mirent dans la rivière, la léchant de tout son long. Au petit matin, les villageoises viennent y battre leur linge. Cerné des modestes montagnes embrumées, ce village est encore préservé de l’assaut du tourisme de masse. Les grand-mères Miao vendent leur longues pipes, devenues relique de souvenir, les pêcheurs se déplacent en pirogue, croisant parfois la route d’un tractopelle labourant l’Histoire. Il faut se dépêcher, c’est au rythme effréné dela Chine que la mémoire s’efface. Durant trois jours, je me suis laissée vivre, fumant la longue pipe des grands-mères, buvant quelques verres du poison baijiu chinois (l’alcool de riz), touchant mystiquement les murs ancestraux la nuit tombée, où seules quelques façades illuminées vous rappelle que vous êtes au XXIème siècle.

Ruelles pavées. Portes du nord et du Sud, ceinturant les remparts. Un couple se marie à l’occidentale. Au loin sur les collines, les détonations du nouvel an : pan- pan- pan, on brise les tympans et on éloigne les mauvais esprits. Soudain, la nuit tombe et une féérie ancienne, s’empare fièrement de la ville. Face à la pagode qui semble s’enfoncer dans les profondeurs de son reflet, je rentre dans un bar où un jeune groupe reprend les classiques rock chinois. Je demande Beyond. Ils exécutent. Beyond au temps des Ming. Etrangement ça ne détonne pas tant que cela. Le patron du bar vient s’asseoir avec nous, il me prend la main pour m’initier à la calligraphie, derrière mes yeux enivrés, il trace mon nom en calligraphie sans jamais relever le stylo. Un continuum reliant l’Histoire à la modernité. Nous buvons du vin rouge. La musique est électrique. Pourtant sous mes yeux, c’est l’ancienne Chine.

Il est temps de se coucher. Un tunnel à franchir et un dédale de rues. Le tunnel raconte une autre histoire. Quelques jeunes, fortement éméchés, célèbrent eux-aussi, la beauté des lieux. Une sono, un micro, une guitare et quelques packs de bières, nous voilà embarquées tous ensemble au XXIème siècle. Cachée par le mur de pierre, la rivière ne semble pas prêter attention aux beuglements que j’exécute : « oh yeah my friend, this answer is blowiiin’in the wind ! ».

C’est la mille quatorzième fois que le village célèbre une nouvelle année. Soufflé par le vent peut-être, mais toujours debout.

Et parfois la mémoire est tenace, trop tenace...

Le village du Phénix

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