Moscou-Beijing-Changchun
Cet entre-lieu qu’est l’aéroport est aussi fascinant qu’agaçant. Pour la première fois, l’entre-lieu s’est transformé en véritable hôte. Treize heures à errer entre les dutyfree fermés, à attendre la fin des pubs sur les écrans géants pour se rendre compte qu’il n’était finalement qu’une heure du matin et que l’attente ne faisait que commencer. Que dire alors du faux semblant russe approché au travers de cet immense bâtiment tenu par plusieurs générations de soviétiques ? Serais-je influencée ? Influençable ? Ou alors, simplement, l’humanité par ses échantillons qu’elle offre sait se montrer bien cruelle. Les russes ne faillissent pas à leur réputation, que d’antipathie ! Ce fut tellement caricatural qu’on ne pouvait qu’en rire, mais s’ils daignent répondre à vos questions c’est par aboiement ou un no mal articulé, tout en pivotant sur eux-mêmes, si jamais vous ne compreniez pas que la conversation était close.
Enfin, les avions sont à l’heure, les banquettes satisfaisantes pour la somnolence et leur coin fumeur plutôt spacieux, ajoutez-y un mousseux russe fruité et vous y passerez un moment agréable qui pourra se clôturer sur les coups de 7heures par un bortch.
Dernière étape avant Beijing : les 7 dernières heures de vol avec la compagnie russe au nom si évocateur, aéroflot : un ciel dégagé durant tout le trajet m’a permis de me souvenir pourquoi âgée de 10/12 ans je rêvais déjà de faire un métier du voyage. Le vertige de l’infini. Du haut des40000 piedsde l’avion, j’ai pu contempler des milliers de km d’un pays-continent, sauvage, recouvert d’un camaïeu verdâtre qui se perdait à l’infini, là où l’esprit rationalise le bout du monde,la Sibérie, le pôle nord, l’extrême et le sauvage. Alors que je luttais pour ne pas m’endormir avant d’arriver en Mongolie (voir les yourtes !), la nuit me joua un mauvais tour et le terrestre disparu pour me faire jouir du céleste. Lasse, sans doute habituée, moins enjouée par les constellations que par mon jeu de regard surla Russie, ses lacs si géométriquement ronds, ses quelques fleuves serpentant et surtout son vide immense, je m’endormis et mis fin à mon excitation malfadienne.
Beijing, 1h du matin, 27 degrés: here I am! Première respiration et je ressens ; moiteur, odeur, mes yeux se posent sur des idéogrammes, le sens m’échappe, la forme reste. Une épaisse couverture brumeuse s’endort sur la ville atténuant les enseignes publicitaires criardes. Une négociation bien trop courte me fait comprendre que le chauffeur de taxi nous a bien eues et nous voilà en direction d’un hutong. Passons le désagrément de devoir partager la chambre avec huit autres personnes et deux grillons, sans douche (nous avions réservé une chambre double); venons-en directement à notre première destination : le temple des lamas.
Bon, je vais faire mon occidentale de base, mais mise à part les temples perdus dans les hauteurs tibétaines (voir route vers le tibet), une fois que vous avez vu un temple citadin, l’attrait se perd. L’architecture reste époustouflante, le contraste avec les builidings toujours aussi fascinant, mais rien de spirituel ne s’y dégage. Le mieux, pour vous en persuadez, tentez le temple de Shaolin ….
Je reprends l’écriture, mais plus d’une semaine s’est écoulée. Alors je serai concise. Beijing fut le temps pour les déambulations à travers les hutongs pékinois. Les hutongs sont les étroites rues du centre de Pékin, vestiges d’un temps qui s’efface au profit de la modernité : boulevards, gratte-ciels, blocs résidentiels de buildings et boutiques. Pékin se dessine ainsi, un boulevard immense bordé des symboles du nouveau monde : KFC, magasins, tours etc et soudain une faille entre deux restaurants vous fait entrer dans un labyrinthe de ruelles, où les maisons ouvertes satisfont vos yeux d’occidentaux, le rythme se ralentit, les vieilles personnes s’éventent, les hommes jouent aux cartes et la nuit le bruit des dominos du majong résonnent.
Nous avions décidé de visiter la cité interdite mais le monde grouillant sur la place Tiananmen nous en a vite dissuadées…Nous attendrons un week end hivernal, un week end hors vacances, un week end où la place pourra être respirable, Mao ne bougera pas de sitôt.
En fin de semaine, nous sommes allées à dashanzi ou encore 798, un lieu où se côtoient boutiques et galeries d’art. Cette ancienne usine désaffectée accueille une centaine de lieux d’exposition de l’art chinois contemporain. J’ai eu la surprise de voir les œuvres de Yue Minjun et Zhang Xiaogang, deux grands artistes actuels pour qui je nourris une grande admiration, mais également quelques œuvres de Lucian Freud !
Je réfléchis à quoi écrire et je me rends compte que je suis à court d’inspiration, je n’y arrive pas, en fait Chongqing me manque énormément, et rien ici n’est comparable, vous souvenez-vous de ce lieu extraordinaire qu’était le quartier artistique de CQ ? Dashanzi est le Louvres en 2011 quand CQ est Montmartre en 1920…
Oui, je l’ai voulu et j’y suis. Me voici ainsi à Changchun, Jilin province. Les premiers jours furent effroyables, cette ville est d’une laideur incommensurable. Certes, CQ ne se distingue pas par sa beauté, mais elle a une monstruosité fascinante, une laideur insupportable car disproportionnée, le monstrueux peut-il être poétique ? Oui ! Agrippa d’Aubigné l’a démontré à travers les tragiques, CQ à travers son effervescence, sa démesure, son incapacité à être fixe. Changchun est simplement laide, d’une banale laideur. Parquées à 15 bornes du centre, nous avons le privilège, rarissime en Chine, d’avoir un ciel bleu sur nos têtes, le campus est comme une prison dorée, d’une beauté magnifique : fleurs de lotus, végétation, plan d’eau etc. Mais il est clair que si je suis en Chine, ce n’est pas pour vivre dans un jardin des plantes où il est interdit de fumer, de boire de l’alcool ou encore de rentrer après 23h ! (mais bon ça ils peuvent se gratter).
Entraînement militaire des premières années
Il y a semble-t-il ici, une communauté d’étrangers assez restreinte qui se sert les coudes et permet de rendre les nuits plus folles (et oui pas de scène rock underground à Changchun…), à travers des concerts lives, l’organisation de conférences et de soirée. Antonio est avec nous et juste pour cela, ça vaut le coup ! Vraiment, cette semaine à Changchun ne m’a pas fait décoller, ou bien si, de cette façon : quand retournons-nous à Chongqing ? Si on allait en Inde la prochaine fois ? Alors oui déception, mais le meilleur reste à venir, j’en suis persuadée.
Antonio!