Formosa!
Et puis, il y eut Taiwan. Le temps s’étire, les souvenirs s’effilochent. Reste une impression. Celle d’une utopie. Ile d’une autre époque, entre modernité des capitales européennes et hospitalité des campagnes chinoises, avec pour pont affectif entre l’étranger et le local une langue commune, l’anglais. Ce qui, pour qui vit en Chine, change totalement de son quotidien : communication aisée des deux côtés, rencontres et conversations approfondies, gain de temps et d’énergie…Partager une langue commune m’a fait oublier cette unicité de la Chine où même dans les capitales (entendez les villes modernes de Chine), parler en anglais est rarissime et tomber sur un locuteur anglais est exotique. La Chine, peut-être seul pays au monde (avec la France ?) à se satisfaire de son système unilingue. Cependant, ce qui marque est la gentillesse de ce peuple. D’après ma jeune expérience, le plus gentil, hospitalier et désintéressé des peuples. Un mystère de sympathie pour l’autre, mais surtout pour l’étranger. Peut-être parce que l’étranger considère Taiwan comme un pays. Car oui, en dessous de 40 ans, ce qui ressort, c’est la forte identité nationale taïwanaise. Et il est vrai, être à Taiwan est très dépaysant pour un chinois où une chinoise d’adoption que je suis. Les repères sont les mêmes qu’en Occident, la liberté est tolérée et même encouragée, les jeunes écoutent The National et désirent un Tibet libre, au coin de la rue se trouvent des bars, parfois ils vendent de la bière belge et on y voit des jeunes filles boire et fumer. Et, dans les petits villages, la vie est la même, plus simple, mais la jeunesse ne s’éteint pas à 22 heures. J’ai presque fait une nuit blanche dans un village de quelques milliers d’habitants, chose banale me direz-vous mais qui ne m’est jamais arrivé à Chongqing, agglomération de 32 millions d’habitants où pourtant je fréquentais le milieu dit underground…Oui Taiwan est un eldorado de culture, de concert live, de galerie, de mode et de douceur de vivre.
Une anecdote, un symbole : Le troisième jour, je me suis rendue à Dulan, petit village de la côte Est, village d’artistes et de surfeurs (rien que cela semble être de la science-fiction pour un village chinois). Avec Virginie, nous attendions sur le bord de route un bus qui ne venait pas. Je tends mon pouce, une camionnette amputée de son train arrière s’arrête. Un homme d’une cinquantaine d’année commence à me proposer de m’amener voir un ami pour nous louer une voiture, il n’a pas le temps de poursuivre que le bus tant attendu arrive enfin. Quelques secondes d’hésitations déchirantes et je finis par prendre congé et sauter dans le bus, qui s’avéra être le mauvais bus. Nous dûmes alors prendre ce même bus en sens inverse pour revenir à notre point de départ.
Mon Capitaine ô mon capitaine!
De retour donc, dans ce petit village où il était dit que les week-ends l’ancienne usine désaffecté organisait des concerts live, nous trouvâmes une jolie chambrée avec vue et toit donnant sur la pacifique, agité, violent et impertinent. Le soir, après une bouteille de vin rouge français acheté à 4 euros (!!!!!!!!! c’est aussi ça l’eldorado !), nous nous dirigeâmes vers l’usine. Noire d’abandon, elle ressemblait à ces spectres d’une époque révolue qui trônent aux alentours des villes pour vous rappeler les labeurs des générations précédentes. Néanmoins, un air joyeux s’échappait de ses entrailles. Sur son flanc gauche, nous vîmes en effet une petite dizaine de tablées joyeuses et de la musique. L’œil, l’oreille, la curiosité aimantés par ce rassemblement festif, nous voilà en deux minutes assises à l’une des tables, un verre de bière dans une main et des baguettes dans l’autre. Une famille fêtait le premier mois d’un bébé. Elle appartenait à la communauté autochtone des Amis. La soirée fut inoubliable, indicible, mais surtout elle restera comme l’une de mes soirées les plus émouvantes, les plus riches de mon existence, peut-être au-delà de ces rencontres célestes dans la Grand Tibet. Ces personnes m’ont agrippé le cœur et l’ont pourléché d’un art de vivre que je ne pensais existant que dans les livres anciens. Je l’ai dit c’est ineffable. Des mots peut-être. Une hutte avec en son centre un feu. A côté, le bébé célébré, dans son berceau. En face, la famille, les amis, le festin. Chacun se relayait et chantait, je veux dire transperçaient les cœurs. Durant cette soirée, j’ai fait la ronde et j’ai appris ces chants tribaux, ses danses très rythmiques, voix aigues pour les femmes et ténors pour les hommes, posture de couple dans un rond communautaire et, autour des flammes, s’élevèrent les esprits de la hutte, une femme virile à gauche et un homme tout aussi viril à sa droite. Durant cette soirée extraordinaire, dans l’ombre de cette usine désaffectée, est survenu un homme. Cet homme était mon sauveur durant l’auto-stop matinal, celui que j’ai quitté pour un mauvais bus. On se retrouve et on trinque. Nous parlons et j’évoque notre déception du voyage. Parenthèse : en effet, avec virginie nous avions prévu de faire la Highway 11 en scooter, cette route mythique longe sur près de100 km la côte Est de l’ile de Taiwan et est réservée aux vélos et deux roues (une partie de la route du moins). Or, à Taiwan, pour conduire un scooter il faut maintenant être détentrice du permis de conduire taïwanais. Notre rêve était donc ruiné. Fin de parenthèse. A peine ai-je eu le temps de finir de lui expliquer les quelques lignes que vous venez de lire, que M. Ma se lève et téléphone. Je trouve cela étrange mais n’y prête pas plus d’attention. On m’offre une cigarette, je la fume et rencontre un autre personnage marquant de cette soirée. Anglais d’origine, il est arrivé durant son enfance à Taiwan, ne maitrisant quasiment plus l’anglais notre conversation fut très rudimentaire. Dramaturge et hippie, il vit pour écrire et rêve d’une génération qui puisse redonner de l’idéologie aux hommes. Cette conversation m‘enthousiasme. M. Ma revient et me dit : « ton scooter arrive dans 5 minutes, garde le une semaine si tu veux, c’est le mien, il est maintenant à toi pour le temps que tu voudras »….Waouh, ça c’est une leçon de vie qu’aucun livre, manuel où professeur ne pourra jamais vous inculquer ! C’est ainsi que pendant 4 jours, nous longeâmes la Higway 11 sur près de 100km et nous revînmes par la Higway 9, celle des montagnes du centre du pays…Et les points de suspension sont là pour laisser votre imagination rêvasser à toutes ces merveilles que ma pauvreté littéraire ne parvient pas à vous transmettre. A si tout de même, une autre rencontre. Un schéma tout d’abord :
C’est sur cette route 36, vraiment paumées dans les hauteurs sinueuses des campagnes taïwanaises que nous sommes tombées en panne d’essence. Miracle ! Une voiture passe, ce sera la seule en deux heures, et s’arrête. De jeunes hommes en costards (croque-morts), très enthousiastes vont nous sauver la vie, du moins, nous empêcher de dormir dans le fossé. Avec du tissu, plus ou moins résistant, ils vont tirer le scooter sur près de 15km (avec des arrêts toutes les 10 minutes pour remplacer le tissu mort, déchiqueté par le poids du scooter en côte) et nous trouver un bidon d’essence qu’il sera impossible de payer….
A Taiwan, j’ai dormi dans un hôtel très cher (pour ce que c’était) où il n’y avait pas de gérant, nous étions seules et nous en avons profitées pour nous installer dans une chambre. Le matin à 5h bien entendu toujours personne, nous avons laissé 20 euros sur le comptoir. Taiwan nous a appris cela. Une confiance entre les gens se mérite, se cultive. A Taiwan et même à Taipei, les scooters ne sont pas attachés. Taiwan est cosmopolite. La sécurité est une question d’éducation, pas d’immigration.
Après ces quelques jours, nous réussîmes, par malices et sourires, à obtenir un autre scooter pour visiter les gorges de Taroko. L’attraction de Taiwan, en soit rien d’extraordinaire. Beau, mais il est vrai qu’après les merveilles du continent, il est difficile de ne pas être un brin déçu. Enfin, une journée en scooter, sous une pluie battante, dans le creux des langues ondoyantes des montagnes érodées par une eau turquoise, oui, cela, reste tout de même un beau souvenir.
Enfin, Taipei où nous avons fait trois jours de couchsurfing. Quelle rencontre ! Un jeune couple, comme nous ! Même gouts musicaux (mais vraiment les mêmes The national et Sigur Ros), même pensée, mêmes idéologie, même vision du monde, même soif de connaissance, même enthousiasme.
Pour moi qui vis depuis deux ans en Chine, cela est si surprenant ! J’aime mes étudiants, mais nous ne vivons tellement pas dans le même monde. Hier, les premières années étaient en train de préparer un spectacle sur Blanche-neige, à Chongqing, lors d’un concours de doublage de film, l’équipe gagnante avait doublé Bambi et ceci n’est tellement rien….Alors oui Taiwan touch your heart, c’est une « philosophie de vie » pour reprendre les mots du cercle des poètes de la famille Amis, mais c’est une philosophie de vie qui est partagée par la chauffeur de bus, de taxi, les jeunes, les passants, commerçants et même étrangers. Là, où en Chine, il y a cette jalousie insidieuse et concurrentielle, « je ne suis pas le seul blanc », à Taiwan, les étrangers s’arrêtent sur une 4 voies pour te crier « do you need advice to enjoy this city ?? »….True story !
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Il y eut également les sources d'eau chaude où nous étions seules clientes dans un bel hôtel luxueux...